26.01 > 23.03.2008
C’est en découvrant les travaux de Robert Frank et d’Henri Cartier-Bresson qu’Eggleston vient à la photographie, qu’il pratique d’abord en noir et blanc puis en couleur dès la fin des années 60. À partir de son environnement intime – la plantation familiale et la campagne du Tennessee, sa maison et les rues de Memphis – il se plonge dans l’exploration de l’univers quotidien du Sud des États-Unis.
Son intérêt pour le banal le rapproche de Walker Evans, mais sa vision du monde et son style l’en écartent sensiblement. William Eggleston photographie tout, sans distinction ni hiérarchie, et son approche très libre du sujet n’a rien à voir avec les vues frontales et sans effets du style documentaire. Contrairement à Evans, il surprend et déstabilise par des points de vues inattendus, des cadrages et des compositions hors des canons esthétiques et la présence essentielle de la couleur.
Dans les années 70, cette ouverture à la couleur, logique dans la démarche d’un artiste qui entend prendre en compte toutes les composantes de la réalité, mais encore précoce dans l’histoire de l’art photographique, vaut à Eggleston la consécration du musée et la réputation en partie justifiée mais quelque peu envahissante d’inventeur de la photographie en couleur. Son exposition au MoMa de New York en 1976 à l’invitation de John Szarkowski marque une date dans l’histoire de la photographie, celle de la reconnaissance de la photographie en couleur comme forme artistique à part entière.
En réalité, bien des artistes et non des moindres s’étaient essayés depuis longtemps à la couleur, mais comme le souligne Michel Frizot dans la Nouvelle histoire de la photographie, l’apport décisif d’Eggleston, qu’il partage avec certains de ses contemporains – notamment Callahan et Meyerowitz – est d’avoir donné par l’usage de la couleur “un autre sens à la photographie dans son ensemble. Jusqu’à ce qu’on ne s’étonne plus de l’usage de l’une ou de l’autre, couleur ou noir et blanc”.
Comme un acteur qui ne parvient pas à se libérer du rôle qui l’a rendu célèbre, Eggleston est resté longtemps prisonnier de l’étiquette aussi réductrice qu’excessive “d’inventeur” de la photographie en couleur. C’est sans doute pour dissiper ce malentendu qu’il publie en 1989 The Democratic Forest, livre dans lequel il se proclame “en guerre contre l’évidence”. “Un œil démocratique, une guerre ouverte contre ce qui semble aller de soi : les deux se combinent, il faut voir ce qu’a priori on n’aurait pas regardé. Tout peut mériter l’attention, le déclic” (Anne Bertrand).
L’exposition est en deux parties : un ensemble de vingt photographies composé par Eggleston pour la collection Lhoist, complété ultérieurement par deux autres tirages, et le portfolio Graceland, prêté par le Fonds national d’art contemporain, qui comprend onze photographies de la maison d’Elvis Presley à Memphis.
À l’exception des deux tirages Iris récemment acquis par la collection Lhoist, toutes les œuvres exposées ont été réalisées selon le procédé du dye transfer, découvert par Eggleston en 1974 dans le catalogue d’un laboratoire sous le slogan : De l’image la moins chère au nec plus ultra. “Le nec plus ultra, raconte Eggleston, était le dye transfer. Je suis monté directement voir ça sur place, et je n’ai vu que des travaux publicitaires, des images de paquets de cigarettes ou de bouteilles de parfum, mais la saturation des couleurs et la qualité de l’encre étaient incroyables. Impossible d’attendre pour voir à quoi ressemblerait une image d’Eggleston imprimée avec cette technique. Toutes les photos que j’ai tirées par la suite selon ce procédé étaient magnifiques, et chacune semblait encore plus belle que la précédente”. À propos de sa photo The Red Ceiling (le plafond rouge), Eggleston ajoute : “The Red Ceiling est si magistral qu’en fait je n’en ai jamais vu de reproduction qui m’ait satisfait. Quand on regarde le colorant, c’est comme du sang qui mouille les murs… Travailler en rouge une surface aussi importante était un défi.”
– François Saint Pierre
Avec le concours de : collection Lhoist, Fonds national d’art contemporain, Ciné 32 et le cinéma Le Sénéchal.
Remerciements : Jacqueline d’Amécourt, conservateur collection Fondation Lhoist.