Capsule – Un programme inédit de résidences
Marine Lanier est accueillie en résidence au Centre d’art et de photographie de Lectoure grâce au programme Capsule, lancé en 2020 par le Ministère de la Culture.
Ce dispositif permet de renforcer les missions des centres d’art, de favoriser la présence des artistes sur le territoire. Il s’appuie sur une charte pour un meilleur accueil des photographes. Capsule est porté par les 7 centres d’art photographiques conventionnés et 7 lieux intermédiaires, identifiés par les conseillers arts visuels des Directions régionales des affaires culturelles.
Les Contrebandiers
Je suis brigand. Je passe à travers vos montagnes. Je suis contrebandier. Ma silhouette s’efface dans le vent. Je suis la nuit de vos forêts. Je suis invisible. Je laisse des traces dans l’herbe que vous ne savez pas lire. Je suis ce que vous appelez le Mal. Je suis un chardon. Je suis l’éclipse totale du soleil. Mes signes sont compris des seuls initiés de mon clan. Nos cérémonies vous effraient. Nous marchons à travers les grands sapins, le corps recouvert de feuilles, nos visages tannés par la suie des feux que nous enterrons. Je suis colporteur. Je suis voyageur sans bagage. Je renverse mon baluchon pour effacer mon sillage. Je vole dans les ombres. Je me nourris de baies, de racines, de pain et de cruches arrachées aux villageoises. Mon enfant est vêtue d’une peau d’animal, elle connaît la montagne mieux que moi-même, elle y est née. Elle n’a pas le sentiment de fuir. Elle avance tous les jours — elle rejoint les sommets, court dans les déserts de neige, descend dans la poussière de la plaine. Nous sommes le flux de la rivière qui s’élance, s’enroule, s’arrête comme le souffle du poumon d’une bête. Notre lutte est faite de cabanes, de replis, de cachettes, de terriers dans lesquels nous dormons quelques heures, nos galeries sont habitées par les nôtres, nous savons nous reconnaître, d’un signe, d’une main levée, d’un regard. Nous sommes de la race de ceux qui savent siffler avec leurs doigts. Toi qui ne sais pas qui je suis, écoute encore les récits de mon héritage, je te le répète, je suis le contrebandier, le rôdeur, la crapule, le fuyard, le colporteur, le malandrin, le brigand, le voyageur, le passeur de ceux qui quittent les pays mauves, ceux qui se referment comme un ancien coquillage. Ne t’approche pas de moi. Je pourrai t’emmener dans ma nuit. Je connais trop la nuit. J’ai passé des nuits entières à fumer au creux de ma main, afin que personne ne voit aucune lueur dans le lointain. À guetter l’ennemi. À marcher à l’envers pour que l’on se fourvoie dans la trace de mes pas, que ceux qui me pourchassent partent dans la mauvaise direction. Du haut des pics des montagnes, je les vois s’éloigner, s’enfoncer avec leurs chiens. Je ris de leur bêtise. Ils ne me voient pas, je suis le solitaire dissimulé sous sa cape. Je m’échappe encore plus loin, les jambes griffées par les ronces, les poignets piqués par les épines, les os brûlés par le froid. Je lave mes mollets dans la rivière le jour, ou plus tard avec la neige — des petits filets se dissolvent, se rencontrent — une sorte d’avalanche rouge coule le long de mes bottes. La nuit j’imite le cri des oiseaux pour parler à quelqu’un, pour ne pas devenir fou, encerclé dans cette prison sauvage. Ils me répondent. Je suis entendu, compris dans ma course. Les oiseaux semblent me dire, avance, ne te retourne pas, ton destin est d’aller de l’avant, de passer les montagnes. Tu es de cette race qui traverse, qui fait fi des lois et des frontières, ton terrain est le monde, les codes des hommes ne te concernent pas. Ton commerce est celui de la liberté. Ton idéal est à l’image de ces montagnes, immenses, indépassables, recouvertes de glace. Que vas-tu chercher là-haut ? Que pars-tu rencontrer ? La part scélérate de ton âme ? Le gouffre de la vie ? Sais-tu seulement si tu es capable de sortir vivant, en un seul morceau, d’une telle épopée ? Que regardes-tu à l’intérieur de toi-même ? Le silence, le bruit des hommes laissés derrière toi ? La mémoire des voyages de leur fuite ? Il t’arrive de rêver la carte des constellations des nuits entières et de trouver ton chemin en miroir en traçant des lignes imaginaires d’étoile en étoile, tu transposes la figure d’une constellation sur ton propre itinéraire — bien souvent lorsque tu es perdu, c’est la solution de ta bonne fortune, un passage s’ouvre, s’éclaire — la liberté, l’autre pays s’offre à toi, grandiose, sublime, tu n’en crois pas tes yeux, les éléments deviennent plus cléments, le vent plus doux, ce ne sont plus les rafales qui te sciaient le visage là-haut. Ton destin est écrit au creux de la paume de tes mains, tu n’as que deux lignes dessinées, la troisième, la ligne de chance, tu la traces à travers la montagne.
Marine Lanier
Ce projet a été réalisé dans le cadre de la commande nationale Flux, une société en mouvement, une commande photographique du Ministère de la culture conduite par le Centre national des arts plastiques.
Marine Lanier
Marine Lanier est une photographe née en 1981 qui vit et travaille dans la Drôme à Crest. Après des études de géographie, lettres et cinéma, elle obtient un diplôme de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles en 2007.
L’univers photographique de Marine Lanier se situe à la lisière du familier et de l’exotisme, du prosaïque et de l’étrange, du clan et de l’aventure. Des lieux intimes sont le support de fantasmes fictionnels où se rencontrent pays imaginaires, cartes et régions inconnues, climats perdus, civilisations disparues. Sa pratique photographique questionne les notions de limite, de
transgression et de métamorphose. Elle devient aussi un véhicule, un moyen d’accès à un passé lointain et souterrain, une sorte d’ouverture sur l’ancestral. Comme deux fils qui se croisent, Marine Lanier ranime des souvenirs familiaux sur le mode sensoriel à travers l’image et l’écriture.
Ses recherches se situent dans cet interstice, ce pli à la frontière du passé, du présent et de l’anticipation — les apparitions résiduelles d’époques anciennes reviennent à la surface d’un continent intérieur. La Nature se montre dans sa dimension à la fois lyrique et primitive pour questionner la puissance du sauvage qui nous entoure. Elle affleure par ses éléments irréductibles tels l’eau, le feu, la terre, la glace, la végétation, le vent, la peau, le sang, la poussière. Le tout entre en collision avec l’autobiographie — elle fait écho alors à quelque chose de plus large, de plus grand, qui dépasse le particulier pour se tourner vers la mémoire collective,
trans-générationnelle, vers nos mythologies, nos peurs primaires, les éléments d’une certaine cosmogonie cachée.
Expositions, prix, bourses, éditions
Marine Lanier expose son travail en France et à l‘étranger (États-Unis, Chine, Canada, Australie, Belgique, Suisse, Angleterre, Allemagne, Luxembourg, Espagne, Portugal, Italie). En 2016, elle publie une monographie de son travail aux éditions Poursuite, Nos feux nous appartiennent, accompagnée par un texte de l‘écrivaine Emmanuelle Salasc-Pagano. En 2024, une nouvelle monographie sera publiée chez le même éditeur, Le Soleil des loups, accompagnée par un texte de l’écrivain américain Rick Bass. Elle a été lauréate en 2018, d’une bourse du CNAP pour le projet Les Contrebandiers. Elle poursuit actuellement cette série dans les Pyrénées avec le soutien de la Résidence 1 + 2 Photographie et sciences Toulouse, du Centre d’art et de photographie de Lectoure, du Bus espace culturel mobile. Elle travaille parallèlement sur son projet Le Jardin d’Hannibal dans le cadre de la commande Radiososcopie de la France portée par la BNF. En 2023, elle obtient la bourse du CNAP pour poursuivre son projet L’Habit de naufrage, sur les îles Robinson, au large du Chili.
Ses œuvres font parties de nombreuses collections et institutions publiques et privées (CNAP, Musée d’art et d’archéologie d’Aurillac, BNF, Centre d’arts plastiques de Vénissieux, Artothèque de Grenoble et Lyon, Fondation Louis Vuitton, Musée Nicéphore Niepce, L’Imagerie, Conservation du Patrimoine
de la Drôme) et de collections privées (France, Belgique, Suisse, Pays-Bas, États-Unis, Canada, Chine, Albanie, Suède). Parallèlement à sa pratique photographique elle déploie son travail à travers l’écriture et le cinéma. Sa pratique de l’écriture est hybride et revêt diverses formes, qui a pris place
dans ses expositions et ses publications. En 2021-2024, elle travaille sur trois textes plus amples, L’Étreinte de lave, Falco et L’Habit de naufrage qui feront l‘objet d‘une publication, ainsi que sur deux projets de films Un Faucon au poing et Les Garçons de la forêt rouge. Ces derniers projets d‘écriture sont soutenus par le Conseil départemental de la Drôme, la Drac Auvergne-Rhône-Alpes, la Maison des écritures de Lombez, le LUX Scène Nationale-Valence, le Centre d‘art et de photographie de Lectoure et la Région Occitanie.
Infos pratiques
Résidence de création du 16 octobre 2023 au 15 décembre 2023.
Exposition du 28 octobre 2023 au 28 janvier 2024.
Au Centre d’art et de photographie de Lectoure.
Ouvert du mercredi au dimanche de 14h à 18h, entrée libre.
Fermeture exceptionnelle du 23 décembre 2023 au 8 janvier 2024.
Événements associés
• Vernissage le samedi 28 octobre à 11h, en présence de l’artiste et de la commissaire d’exposition.
• Rencontre avec les habitant·es et démo studio photo le vendredi 3 novembre à partir de 11h.
• Rencontre avec l’artiste et atelier d’écriture le jeudi 9 nombre à 18h30.
• Sortie de résidence le dimanche 10 décembre à 16h.