Résidence + exposition

Charles Deflorenne

Pour la deuxième année consécutive, le Centre d’art et de photographie de Lectoure programme une résidence de création dans ses murs, à la Maison de Saint-Louis, et accueille l’artiste plasticien gersois Charles Deflorenne de mars à juin 2018.

Issu du monde rural, Charles Deflorenne s’intéresse à deux domaines qui semblent à priori très éloignés l’un de l’autre, l’art et l’agriculture. Dans ses œuvres il aborde les questions de territoire, de paysage, de techniques agricoles, de patrimoine et de terroir à travers l’usage de médiums variés : dessin, peinture, édition, sculpture, installation, vidéo, jeu… En confrontant ces notions d’art et d’agriculture et en évoquant la standardisation et l’uniformisation accrue des pratiques, des matériaux, des produits de consommation, il interroge notre société contemporaine, profondément marquée par la mondialisation. Par ce processus historique d’extension du système capitaliste à l’ensemble de l’espace géographique mondial, tout ce qui se passe quelque part affecte la vie et l’avenir des gens partout ailleurs. Globalisation et technologie à travers l’industrie culturelle et l’industrie de l’agroalimentaire, entre autres, semblent façonner avec constance les relations internationales. L’évolution touche aux objets marchands mais aussi de plus en plus aux identités et aux valeurs, c’est-à-dire à l’idéologie dans ses composantes socio-économique et socio-culturelle. Les espoirs que la mondialisation a suscités, parfois de l’ordre du fantasme, sont aussi à la hauteur des désillusions provoquées par la crise économique persistante des années 2000.

A Lectoure, Charles Deflorenne imagine un projet inédit axé sur la notion de terroir. Par le passé, les artistes ont longtemps été ceux par lesquels un pays devenait paysage. Charles Deflorenne est ici celui par lequel un territoire pourra devenir terroir. Communément, le terroir est un territoire associé à une agriculture spécifique. Il est défini à la fois par son milieu biologique et des facteurs humains. Lectoure, ses sols argilo-calcaires, son climat propice à la culture du melon – attestée depuis 1850 et véritablement organisée depuis 1950 – constitue un exemple intéressant (en 2016, le succès de ce produit du terroir aboutit au dépôt de la marque « Le Melon de Lectoure »). Inspiré par cette histoire, Charles Deflorenne invente pour sa résidence + exposition un terroir imaginaire : « la banane de Lectoure ». L’artiste crée, à partir de ce fruit dit exotique, un univers de A à Z fait de sculptures, dessins et installations qui vont se déployer au fil des semaines et graduellement envahir le centre d’art comme un grand jeu de piste où passé et présent, réel et fiction, nature et artifice se mêlent, et ce avec une bonne dose d’humour décalé.

Charles Deflorenne prend comme point de départ des éléments observés et glanés à Lectoure et qui peuvent nourrir et agrémenter un récit, le fil d’une histoire. Il a par exemple remarqué la présence de bananiers et autres plantes exotiques dans les cours des hôtels particuliers et dans les jardins lectourois, témoignages du riche passé d’une certaine bourgeoisie locale. Il note aussi l’importance de l’eau à Lectoure et les possibilités d’utiliser la géothermie pour de potentielles cultures exotiques. Il imagine alors Lectoure dans les tropiques, îlot perchée sur son piton rocheux, sorte d’écosystème insulaire dédié à la culture de la banane… Loufoque à ses débuts, l’histoire acquière peu à peu une dimension tragi-comique et permet à l’artiste d’aborder à travers des médiums éclectiques quelques thèmes de prédilection. Il est question de la mise à mal d’un terroir par la mondialisation, de l’impact environnemental des exploitations, des conséquences d’une monoculture dans un écosystème, de l’usage des produits phytosanitaires dans les cultures…

La résidence constitue un dispositif crucial dans le soutien à la création contemporaine. Au cours de sa résidence + exposition, Charles Deflorenne associera de façon récurrente les publics à la création d’œuvres nouvelles. Les espaces d’exposition habituels de la Maison de Saint-Louis se transformeront à la fois en ateliers de fabrication et de production d’œuvres nouvelles et en espaces d’exposition pour des œuvres déjà produites spécifiquement pour l’ouverture de la résidence. Destinée à la recherche, à la réflexion et à l’expérimentation, la résidence est envisagée à la fois comme un laboratoire et un espace de rencontre entre l’artiste, les habitants, des associations culturelles, des entreprises partenaires, des universitaires et d’autres artistes. Ils pourront ainsi s’approprier et alimenter le projet de la banane de Lectoure, véritable champ d’expérimentations et de collaborations.


Charles Deflorenne

Né en 1988 à Dechy.
Vit et travaille à Lectoure.

Charles Deflorenne est diplômé de l’École supérieure d’art de Tourcoing (2012), du Leeds College of art (2013) et de l’École nationale supérieure d’art de Limoges (2015). Il a récemment exposé à Mulhouse pour la Biennale de la jeune création contemporaine (2017).

www.terroirstudios.com

Selon un calendrier calqué sur le mûrissement d’une banane, je désire développer au cours de cette résidence de recherche un terroir inédit : « la banane de Lectoure ». Pour composer ce terroir imaginaire, je pense emprunter des éléments à des registres multiples et distincts afin de proposer un modèle, ou plutôt un paradoxe, qui paraitra sans doute incongru pour certains.

La méthode de construction du projet s’apparentera à des techniques utilisées dans d’autres domaines tels que le sampling employé en musique, l’assemblage utilisé dans le vin, la greffe dans le milieu horticole, ou la créolisation en linguistique. Ces quatre termes sont présents dans ma pratique en général, toutefois celui de créolisation semble le plus adéquat afin d’entretenir une certaine note d’exotisme dans laquelle diverses constructions d’analogies sont possibles. De plus la créolisation est un terme issu de l’archipel des Antilles où l’essentiel des bananes françaises sont cultivées, ce qui fait écho au brassage des cultures dans un contexte de mondialisation et produit ainsi une sorte d’antinomie intéressante dans sa relation avec l’idée de terroir.

Nombre des informations mixées pour former ce terroir fictif sont issues de mes recherches, rencontres, références et pérégrinations réalisées à Lectoure où je vis. Ces données alors regroupées comme une combinaison non hiérarchique tenteront de définir l’idée d’un terroir-monde dans le sens de village-global, c’est-à-dire une culture agricole de plus en plus uniformisée dans une logique industrielle. Le choix de la banane pour représenter ce terroir-monde n’est pas anodin. La banane, en plus d’être « pop et sexy », est le fruit le plus consommé dans le monde grâce à une variété de techniques agricoles et par son implantation sur l’ensemble des continents. Ce fruit, pouvant être qualifié de technologique, a été standardisé et sa culture mécanisée par l’industrie de l’agroalimentaire jusqu’à son paroxysme, sa commercialisation étant quasiment réduite à une seule espèce de bananier, la Musa acuminata, dont l’emblématique Cavendish est issue.

Dans cette fiction, la commune de Lectoure sera, comme l’un des dessins préparatoires le montre, perchée sur une banane à la façon d’une île perdue au milieu de nulle-part. Cette isolation est issue de plusieurs caractéristiques territoriales que je confronte et dans laquelle naît l’invraisemblable. Lectoure semble en suspension par sa position géographique, sa situation singulière stimule l’imaginaire par son caractère et sa riche histoire. Sa culture réputée du melon, qui a su tendre vers une sorte de mythe contemporain et populaire, à l’échelle d’une petite ville et de son folklore, évoque la liaison entre une culture et sa production agricole, deux éléments dont un terroir se nourrit afin d’exister.

Je me suis également intéressé à l’énergie géothermique de la ville de Lectoure, qui est exclusivement attribuée à des usages thérapeutiques et récréatifs. L’énergie géothermique a permis à l’Islande de développer des serres tropicales complétement artificialisées, faisant de ce pays le premier exportateur de banane en Europe, d’après un mythe urbain… Entre l’archipel des Antilles dans la mer des Caraïbes, Lectoure, son melon, sa banane, sa géothermie et celle de l’Islande, de nombreux anachronismes et aberrations spatiales apparaissent. Ces ponts s’accumulent et se construisent au fur et à mesure des excursions, pour tenter de développer une cohérence. Jusqu’alors impossibles du fait de la distance, ils peuvent, dans notre monde de plus en plus industrialisé, rapide, et connecté, façonner une multitude de représentations alternatives. Pourquoi pas une production de banane à Lectoure ?

Le développement du projet de la Banane de Lectoure produira, je l’espère, des formes inattendues à l’instar de son sujet. Considérant ce projet comme étant in-situ, la commune et le Centre d’art et de photographie de Lectoure deviendront en quelque sorte un atelier ouvert aux propositions, propices aux expérimentations plastiques. Différents acteurs interviendront afin de tenter de révéler les possibilités et les caractéristiques liées à ces prémices de culture. Développant depuis quelque temps l’idée d’une cohésion entre les cultures dites hautes et basses à travers des médias composites, les formes envisagées demeureront ludiques et narratives pour que le plus grand nombre puisse saisir et s’approprier le projet.

Charles Deflorenne


Jours et horaires d’ouverture

Du 30 mars au 3 juin 2018.
Du mercredi au vendredi, de 14h à 18h.
Entrée libre.


Documents disponibles

Dossier de presse