Hommage à Frédéric Delpech

Frédéric Delpech, photographe et enseignant
1952 – 2021

« Fred Delpech est décédé soudainement, au beau milieu des magnifiques montagnes pyrénéennes, sous un soleil radieux. » Ainsi Claire Beaumont, sa compagne, nous annonce la mort de Frédéric, le 13 juin, suite à un arrêt cardiaque.

Frédéric siégeait au conseil d’administration de l’Association Arrêt sur Image.  Il a contribué à sa création, à l’initiative de François Saint-Pierre, avec Jean-Luc Fruchard, Dominique Laffitte, Patrick Pézin, Patrick Marconato et les membres du club photo, au temps où il y avait encore deux quincailleries à Lectoure. Selon François Saint-Pierre, c’est grâce à sa rencontre avec Frédéric quelques années auparavant qu’il fit le choix d’une ouverture de la photographie aux arts plastiques contemporains dès la création de l’Eté photographique de Lectoure, suivie de celle du Centre de photographie.

Qui mieux que Frédéric pour nous conter sa vie dans la photographie ?

« Après des études de lettres ma première activité touchant la photographie a été littéraire puisque je rendais compte des expositions dans ma région pour la revue Photographies Magazine. Photographe autodidacte, j’ai ensuite décidé de vivre de la photographie et de m’intéresser au domaine culturel, plus particulièrement aux arts plastiques. Fin 1981, j’ai pris rendez-vous avec Jean Louis Froment directeur du CAPC [Centre d’Art Plastique Contemporain, aujourd’hui Musée d’Art Contemporain de Bordeaux] qui m’a proposé de faire un essai et de photographier le vernissage de l’exposition Richard Long le mois suivant. Jean Louis Froment avait déjà engagé une politique de conservation des traces des activités du Centre. Il apprécia les photographies et me proposa de continuer à réaliser des reportages, les vernissages, les conférences, les spectacles, en l’occurrence un concert de Steve Lacy face à un cercle de bois brûlés de Richard Long. » Ainsi Frédéric photographie les activités du CAPC, dont le programme de danse contemporaine où figurent des performances par les chorégraphes et danseuses américaines Lucinda Childs et Molissa Fenley, pour ensuite se tourner vers la photographie d’expositions. Au-delà de la photographie qui nourrit une communication évènementielle, il s’agit d’une « photographie pour la mémoire » dans une « visée mémorielle et testimoniale, non seulement auprès des artistes mais au regard de l’histoire de l’art […] ». L’échelle monumentale de certaines oeuvres exposées dans la pauvre lumière de la grande nef du CAPC – telles les Charcoal on paper sculptures de Gilbert & George en 1986, La Goccia d’Acqua de Mario Merz en 1987, ou Threats of Hells de Richard Serra en 1990-91 – demande un traitement toujours renouvelé de l’espace par la lumière: « Il n’y a pas de stratégie précise, la première chose est de regarder, d’observer. La connaissance du lieu permet de connaître les meilleures lumières : on peut en éteindre certaines, en rajouter d’autres, cela dépend totalement de l’œuvre qui est exposée. Je n’ai jamais utilisé de flash électronique, parce que l’espace est trop grand. Je filtrais des projecteurs, lumière du jour, lumière tungstène, selon les situations. [Lorsque] la lumière du jour domine, il faut […] repérer à quel moment elle joue le plus favorablement. Dans cette relation particulière à l’espace se posent avant tout des questions de photographie, à savoir celles du point de vue, du cadrage, de la mise en espace, de la structuration et d’une juste distance. L’équilibre de la lumière et le travail sur la couleur participe de cette relation à l’espace. » Le travail de Frédéric non seulement nous donne accès à une mémoire photographique des expositions et de leurs réalisations, mais représente aussi un témoignage inestimable des transformations de la conception même des formes d’exposition et du rôle du commissaire. A propos de l’exposition de groupe Traffic, dont le commissariat avait été confié à Nicolas Bourriaud en 1996, Frédéric dit: « tout d’un coup nous abandonnions une monumentalité, une sacralisation de l’œuvre pour privilégier une dynamique, une relation et des dialogues. De fait les photographies devinrent différentes avec une lumière localisée. »

L’œuvre photographique de Frédéric – son art de la photographie des œuvres en situation – est ainsi indissociable de l’élaboration d’une mémoire des expositions du Musée de Bordeaux et de sa formalisation dans la création d’une photothèque associée au centre de documentation. Elle apporte aussi une réponse à la question que Frédéric pose en ces termes : « comment la photographie peut-elle témoigner du travail de l’art et des artistes ? » [1] 

Frédéric se tourne aussi vers la forme filmique. Avec Martine Convert, il réalise en 2003 un film sur le travail de Jenny Holzer, Je rêve de mots – «projection de projection, [le film] vise à restituer l’expérience intime de l’œuvre, la tension entre l’incessant mouvement des images et la brutalité énigmatique des textes.»[2]  En 2002, dans Expirs,  il filme la répétition de l’ensemble vocal « La famille Von Trapp » pour un concert – sans direction, ni partition — à la clinique psychiatrique de la Borde dans le Loir et Cher.[3]  Frédéric est dans le premier cercle de la création de l’association Artistes Associés, avec Martine et Pascal Convert et George Didi Huberman,  «née de la rencontre entre des plasticiens, des techniciens de l’audiovisuel, des historiens de l’art, des journalistes et des enseignants, réunis autour du désir de filmer le travail de l’art.» Il siège au bureau de l’association pendant quinze ans.

Frédéric également enseigne l’histoire de la photographie à l’école des beaux-arts de Nîmes jusqu’en 2002, alors sous la direction du critique d’art et philosophe René Denizot, puis à l’Ecole supérieure d’art des Pyrénées Pau-Tarbes où il enseigne jusqu’à sa retraite. Frédéric s’y implique dans la création d’une plateforme de recherche consacrée au thème de « l’observation et du regard », associant l’Ecole d’art et de céramique de Tarbes et l’Observatoire astronomique du Pic du Midi de Bigorre. Parmi les projets développés dans le cadre de L’Observatoire des Regards, ‘Sky to sky’ –  « néologisme anglophile hasardeux et antonyme à l’expression ‘terre à terre’»  – qui a pour objet de «stimuler la production de créations artistiques qui, d’une part, se nourrissent du dialogue avec les sciences de l’univers, y compris dans ses prolongements philosophiques, et qui, d’autre part, s’appuient sur le contexte géographique singulier de la haute altitude impliquant un rapport intense au paysage et une recherche sur les matériaux. »[4] Durant l’hiver 2011 Frédéric et Guillaume Poulain organisent le deuxième chantier du projet sous forme d’un défi aux étudiants et étudiantes: la réalisation et l’exposition d’œuvres à 2877m d’altitude, dans des conditions météorologiques extrêmes, à partir des «matériaux de circonstance – neige, givre, glace, nuages, vent, brouillard».

Mais cette année « les conditions de douceur furent exceptionnelles, affichant pendant une semaine les températures les plus élevées qui ont été mesurées depuis 1873, date à partir de laquelle nous disposons de relevés quotidiens de température. »[5]  Dans les photographies prises durant cette semaine passée au sommet du Pic du Midi en Avril 2011, ni nuages, ni brouillard, mais un soleil radieux dans un grand ciel bleu.

Francette Pacteau et François Saint-Pierre


[1] https://histoiredesexpos.hypotheses.org/2669#more-2669

[2] https://www.artistesetassocies.org/holzer-reve-de-mots/

[3] https://www.artistesetassocies.org/la-famille-von-strapp/

[4] Sky to Sky – une école d’art au Pic du MIdi, Observatoire des Regards, 2013, p.15

[5] ibid, p.85

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *